Les distributeurs de vélos urbains ont vu ces deux dernières années la prolifération de petites marques souhaitant s’installer dans le marché des vêtements et sacs pour le vélotaf.
Et si les spécialistes outdoor avaient justement les compétences requises pour tenir les cyclistes au chaud et à l’abri du vent dans ce marché en pleine croissance ?
Depuis le lancement du Vélib à Paris en 2007, les vélos ont pris une place grandissante dans le paysage urbain en France. Mais le marché du vélotaf a véritablement pris son envol au cours des trois dernières années, avec les vélos à assistance électrique (VAE), la mise en place accélérée d’infrastructures et un soutien financier de la part des pouvoirs publics.
Selon un sondage réalisé par l’Union Sport & Cycle avec AG2R La Mondiale en mai 2022, environ 65% des Français avaient pratiqué le vélo au moins une fois au cours de l’année précédente. De plus, 37% des pratiquants roulaient au moins une fois par semaine. Le même sondage en ligne auprès de 5000 adultes indique que 8% des Français se rendent en vélo à leur travail au moins une fois par semaine.
La plupart sont des hommes de moins de 50 ans résidant dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants, en particulier en région parisienne. En moyenne, les cyclistes parcourent ce trajet vélotaf sur une distance de 6 kilomètres en 23 minutes. Pour prendre plus souvent le vélo, les vélotafeurs réclament plus de pistes cyclables et des stationnements adaptés.
Le rapport d’activité annuel de Strava confirme l’intérêt des Parisiens pour le vélotaf. A travers Strava Metro, un outil de mobilité urbaine, il montre que le vélotaf a grimpé de 97% à Paris entre 2019 et 2022. Cette pratique a été stimulée en partie par l’aménagement de plus de pistes cyclables, et par les difficultés de circulation en voiture dans la capitale.
Des aides directes et des aménagements fiscaux ont également soutenu la pratique. Depuis août dernier, les aides à l’acquisition d’un véhicule peu polluant peuvent atteindre 3000€ pour une personne à faible revenu qui restitue son véhicule polluant et achète un vélo cargo ou pliant électrique. Ces aides sont plafonnées à 40% du coût d’achat du vélo.
Le nouveau plan vélo de 2023 à 2027, annoncé par le gouvernement la semaine dernière, prévoit un investissement de 2 milliards € sur les quatre prochaines années. Il vise à développer la pratique du vélo, les infrastructures et la filière économique. Y compris les collectivités territoriales, le budget pourrait atteindre 6 milliards€ d’ici à 2027. Les aides à l’achat seront prolongées jusqu’à 2027, pour les vélos neufs ainsi que les vélos d’occasion revendus par des professionnels.
L’Observatoire du Cycle a montré que les ventes de vélos ont augmenté à hauteur de 7% en valeur pour les vélos neufs en 2022. Le nombre d’unités chutait lui de 7%. L’augmentation du prix moyen, due aux ventes plus abondantes de VAE, utilisés notamment pour le vélotaf, explique l’écart. La France a vendu 738 454 VAE l’année dernière, enregistrant une croissance de 12% par rapport à 2021.
L’Observatoire estime qu’il reste un potentiel de croissance considérable pour les VAE en France. Ils représentaient 28% du volume des ventes de vélos neufs l’année dernière, contre 57% aux Pays-Bas et 48% en Allemagne. Le marché des vélos cargo à assistance électrique est passé de 17 000 à 33 000 unités. Ceux-ci sont utilisés autant pour des trajets personnels que professionnels.
Une étude réalisée par Shimano auprès de plus de 12 000 consommateurs européens suggère que cet intérêt pour le vélotaf a des motivations diverses. Environ 34% des répondants qui envisagent de vélotafer avec un VAE souhaitent rester en forme, 30% veulent aider à protéger l’environnement. A l’inverse, environ 37% sont hésitants parce qu’ils craignent le mauvais temps, 34% sont découragés par le coût et 25% ne veulent pas arriver au bureau en sueur.
L’évolution de la demande dans les pays comme les Pays-Bas et l’Allemagne montre que les consommateurs s’équipent graduellement, avec des antivols et des bâches ainsi que des ponchos ou des sacs imperméables. L’Union Sport & Cycle suggère que le marché français va dans le même sens, ce qui laisse présager une croissance soutenue ces prochaines années.
COMPÉTENCES TECHNIQUES
Alors que la mobilité urbaine représente désormais la plus grande part du marché du cycle. Quant à eux, les distributeurs spécialisés indiquent que l’offre de produits complémentaires est balbutiante en France.
Arnaud Dault, chef de marché cycle chez Chullanka, explique que l’offre et la demande se développent avec la pratique. « On commence par s’acheter un vélo, puis le premier hiver on se mouille. Alors la deuxième année, on va acheter un équipement de pluie. La troisième année on voit qu’il y a plus performant, ou plus pratique, » dit Arnaud Dault. « Ça commence, on sent un frémissement. »
Chullanka fait partie des distributeurs spécialisés outdoor qui ont une offre vélo à part entière. L’enseigne réserve au vélo un espace important dans certains de ses magasins. De même que de plus en plus d’autres distributeurs de sport et d’outdoor en Europe.
Les enseignes vélo constituent un canal de distribution à part. Celle-ci se segmente avec la croissance de chaînes plus axées sur le vélo urbain, comme Cyclable ou En Selle Marcel. Elles ont tendance à acheter les vêtements et chaussures auprès de marques spécialisées. Mais la croissance du vélotaf et d’autres pratiques cyclistes ont un peu brouillé la donne. Cela avec l’élargissement de l’offre vélo dans les magasins de sport et l’apparition de nouvelles marques dans l’univers vélo.
Tous les détaillants consultés citent Vaude au même titre qu’Ortlieb comme un incontournable dans les sacoches. La marque allemande a une légitimité dans le vélo, qu’elle travaille de longue date en parallèle de l’outdoor. Vaude vend également des vêtements de vélo urbains. Ainsi que des chaussures qui ont des caractéristiques techniques mais ressemblent à des baskets.
Erwan Ghesquière, responsable marketing chez Horizon Vertical, qui vend Vaude en France. Il explique que la marque a fait usage de ses compétences dans l’assemblage et la soudure. Afin de s’installer dans le marché du vélo. Partant des sacoches pour le cyclo tourisme, la gamme s’est élargie. On retrouve des produits pensés pour le vélotaf – y compris des toiles qui ressemblent à du jean. Dans le même esprit, la marque a utilisé ses compétences en matières isolantes et imperméables pour les vêtements de vélo.
Théo Péan, le co-fondateur de Velotafeur.fr, qui a également lancé Bikepackeur.fr, voit d’autres fournisseurs qui tentent de jouer sur les deux tableaux.
« Les marques outdoor essaient d’aller vers l’urbain, et les urbains viennent offrir des produits pour l’outdoor » dit-il. Il cite Basil, une marque néerlandaise. Celle-ci a une offre pléthorique de sacoches, paniers et vêtements pour les déplacements urbains, et qui se lance dans l’outdoor. Dans l’autres sens, Jack Wolfskin a relancé sa gamme vélo l’année dernière, avec un angle bikepacking ainsi qu’une offre urbaine. Picture Organic est en train de lancer une gamme de vêtements Urban Tech pour le vélo.
OFFRE ÉMERGENTE DES VÊTEMENTS POUR LE VÉLOTAF
Les vêtements techniques recherchés pour le vélotaf pourraient allier des membranes et autres technologies maîtrisées dans l’outdoor. Ils pourraient également intégrer les caractéristiques fonctionnelles les plus pertinentes pour le vélo urbain. Cela inclut des éléments réfléchissants, une capuche conçue pour être portée avec un casque. Ainsi qu’une coupe confortable pour une tenue de bureau ou autre tenue urbaine.
Thibault Rosset, acheteur chez LeCyclo.com, remarque que l’offre s’oriente aussi vers des vêtements plus colorés. Go Fluo, une marque belge, fait principalement des vêtements réfléchissants avec des couleurs acidulées et arc-en-ciel. Le Temps des Grenouilles, une jeune marque de Bordeaux, ajoute même des motifs colorés à ses capes de pluie.
LeCyclo et Velotafeur indiquent qu’ils reçoivent régulièrement des propositions de nouvelles marques. Théo Péan ajoute cependant que l’offre manque de vêtements fabriqués en France ou en Europe. Ils sont souvent demandés par les acheteurs.
En magasin, il est plus compliqué de proposer une large panoplie de marques. Les enseignes travaillent souvent avec une gamme restreinte de textile, et elles préfèrent les valeurs sûres. « C’est un marché assez récent, il n’y a pas encore de gros acteurs qui arrivent à capter le marché et qui mènent la tendance » observe un détaillant.
Entretemps, les enseignes constatent que les vélotafeurs font souvent usage de produits textile et autres accessoires détournés. Les cyclistes de la capitale enfilent souvent des vestes The North Face, Patagonia ou Salomon pour rejoindre le bureau à deux roues. D’autres achètent une veste technique conçue pour le vélo de route. Ils la porteront aussi bien pour la sortie du weekend que pour les trajets urbains. La protection fonctionne, mais la coupe risque d’être peu confortable.
La plupart des distributeurs s’accordent sur une demande de plus en plus pointue. Avec la croissance du vélotaf, les acheteurs sont enclins à dépenser plus pour leur véhicule et le confort du trajet. Cela pourrait stimuler la vente de produits techniques courants dans l’outdoor.
Comme le résume Thibault Rosset : « Quand on achète un vélo à 3000€, on va rapidement s’équiper d’un pantalon et de guêtres, et une veste à 200€ ne sera pas un problème. »
Barbara Smit