Parce qu’on ne peut plus innover seul, les organisations s’appuient sur des dispositifs favorisant la pensée créative, individuelle et collective : les espaces collaboratifs d’innovation. Vecteur de nouveaux modes de travail collaboratif, leur diversité et leur hybridité font de ces lieux des pôles ressources. Ils jouent un rôle moteur dans le processus d’innovation.
Suite à une étude menée auprès de 6 espaces collaboratifs d’innovation par l’Institut de Recherche en gestion et économie d’Annecy (IREGE), de septembre à décembre 2022, Emilie, doctorante en thèse CIFRE chez OSV a analysé ce type de dispositif. Que vous soyez une PME ou un grand groupe, ce sujet peut nourrir vos réflexions pour accélérer vos projets d’innovation !
Un espace collaboratif d’innovation, qu’est-ce que c’est ?
Les définitions des espaces collaboratifs d’innovation (ECI) sont aussi nombreuses qu’il existe de formes différentes (FabLabs, Living Labs, Coworkings, Makerspaces, Hackerpsaces…). De façon générale, nous pouvons dire que ces dispositifs s’appuient sur cinq éléments :
- Ce sont des lieux « différents » ou « tiers » qui permettent de s’échapper des contraintes liés à l’environnement de travail habituel. Ils facilitent ainsi la génération d’idées nouvelles et décalées. Ils rejoignent le concept « d’espace-temps » pour favoriser le temps de la réflexion.
- Ils ont un objectif affiché de renouveler les modalités d’innovation et de création. Ceci par la mise en œuvre de processus collaboratifs et itératifs, ouverts et donnant lieu à une matérialisation physique ou virtuelle.
- Une plateforme de prototypage rapide qui permet de concevoir rapidement, en mode « quick and dirty ». Le but est de concrétiser l’idée par la création d’un artefact pour le tester auprès des futurs utilisateurs.
- De la facilitation, ce qui donne à ces plateformes une approche particulière d’apprentissage de nouveaux modes de travail. La facilitation est lié aux méthodes d’intelligence collective, pour favoriser l’idéation, la coproduction de connaissances et la collaboration.
- Une atmosphère ouverte et collaborative afin de favoriser l’expérimentation, la prise de risques, les essais-erreurs. Cela permet d’ouvrir un espace privilégié où les hiérarchies sont effacées, où chaque membre appartient à une même communauté.
Au sein de ces lieux dédiés à l’innovation, plusieurs espaces peuvent se distingués selon l’intention stratégique de l’organisation :
- Espace de fabrication et de conception (ex. FabLabs, Makerspaces, Hackerspaces…)
- Espace de créativité (ex. Innovation Labs, Open Labs, Creativity Labs…)
- Espace d’expérimentation, orienté « user-centric » (ex. Livings Labs)
- Espace de co-travail (ex. Coworking)
- Espace axé entrepreneuriat ou intrapreneuriat (ex. Incubateurs, Accélérateurs…)
- Espace digital (ex. Plateforme collaborative, crowdsourcing, crowdfunding…)
Les principales missions des espaces collaboratifs d’innovation
Nous nous sommes intéressés aux missions principales portées par ses dispositifs :
- Un lieu pour questionner, challenger, voir plus loin : Mettre en œuvre un cadre facilitateur et des outils d’exploration dédiés. Par exemple, le Lab Transfo de la FDJ a pour objectif de tester 30 « Proof of concept » par an.
- Un lieu pour expérimenter : Tester avec une approche « test and learn ». Par exemple, mettre en place des conditions d’expérimentation d’un produit ou d’un service auprès de publics (grands publics ou ciblé professionnel).
- Un lieu pour démocratiser et diffuser les nouvelles façons de travail : Faire ensemble et faire concrètement. C’est la possibilité donnée par ces espaces où l’on « bricole », on expérimente de nouvelles méthodes d’intelligence collective et d’innovation collaborative (ou open innovation).
- Un lieu pour désiloter et s’habituer à fonctionner autrement : Enlever les marqueurs mentaux qu’on peut avoir quand on fonctionne toujours dans un même espace. Changer d’endroit permet de décaler les codes et se mettre dans une posture pour générer de nouvelles idées. C’est aussi un lieu avec une démarche centrée sur l’humain, comme le design thinking.
- Un lieu pour créer des collaborations étroites avec ses partenaires : De la stratups au grands groupes et PME issues du tissu local. Un lieu « neutre » et « intermédiaire » est un levier essentiel pour favoriser les collaborations multi-acteurs.
- Un lieu, vitrine de l’innovation : Les managers interrogés nous ont confié que l’espace est aussi un outil de rayonnement. Pour mettre en lumière la dynamique d’exploration de l’organisation, apporter de la visibilité et de lisibilité autour des sujets d’innovation.
La mise en place d’un espace collaboratif d’innovation : une structure et infrastructure dynamique
Comment aménager une structure participant à créer une atmosphère conviviale pour innover ?
Ce n’est ni un temple, ni un musée, mais un espace avec une structure dynamique. D’après les équipes interrogées, les maîtres mots de l’organisation des espaces sont la flexibilité, la modularité et la capacité multiformes des différentes zones. Les résultats montrent que l’agencement modulable et reconfigurable en très peu de temps est une véritable exigence. En dehors de la modularité, voici les caractéristiques communes à ces espaces comme lieu privilégié d’inspiration :
- La volonté de créer un environnement convivial. Ces espaces sont également souvent colorés et adaptés pour travailler dans des conditions collaboratives (hauteur, isolation phonique, moquette…).
- Des espaces lumineux, ouverts et vitrés sont privilégiés. Pour décloisonner et encourager les personnes à s’inspirer des autres, à engager des discussions, questionner…
- Des déplacements fluides, une circulation facile entre les zones. Grâce à une signalétique adaptée et la nomination des différentes salles pour une meilleure compréhension des espaces. Le déplacement dans l’espace est un aspect important pour fluidifier les rencontres. Les échanges d’idées et de connaissances permettent de faciliter la création de liens sociaux en vue de collaborations.
Complémentaire à la structure, comment mettre à disposition l’infrastructure nécessaire pour stimuler la créativité et l’innovation ?
Deux catégories d’infrastructures apparaissent dans les discours des managers interviewés :
- Le matériel low-tech :
- La mise à disposition des posts-its ou tableaux blancs pour partager des idées
- L’utilisation d’outils de management visuels, posters, cartes, legos est fréquente dans ces espaces pour faciliter des séances d’idéation avec des méthodes d’intelligence collective. Il existe des supports de facilitation comme les balises Parkour désignées par le collectif Co-design-it.
“Il y a plein de petits objets inspirant des livres, des boîtes de lego. Il y a des plans pour montrer que c’est vivant. Et il y a beaucoup de panneaux blancs. On ne les fait pas travailler sur les ordis. Ils écrivent sur les panneaux et sur des post-its”. (Responsable Lab Transfo AZAP – FDJ)
Source : Lab Transfo (AZAP) – Française des Jeux
- Le matériel high-tech :
- L’accès à des logiciels de brainstormings (Klaxoon, Miro, Mural…) pour générer des idées en présentiel ou à distance
- L’accès aussi à des logiciels de conception assistée par ordinateur (CAO) pour prototyper grâce à l’impression 3D
- La mise à disposition de machines de prototypage rapide comme la découpe laser, machine CNC, petit outillage de menuiserie…
Source : FabLab, YSPOT – CEA Grenoble
Le digital : complément indispensable aux espaces physiques
De manière générale, il existe une forte résistance aux outils numériques, perçus comme complexes. La priorité est donnée aux temps en présentiel (pour la fluidité des échanges, la spontanéité, les rebonds qui sont nécessaires en créativité…). Cette dernière a cependant été remise en question lors de la pandémie de la Covid-19. En effet, le contexte de crise a accéléré le besoin de travailler autrement et notamment à distance (télétravail, réunions virtuelles…). Si l’espace physique a pour vocation d’impulser des projets avec un temps collectif fort, l’espace digital permet un suivi plus long et plus approfondi. En revanche, l’efficacité du digital dépend de la confiance créée en amont dans l’espace physique. Des outils digitaux ont démontré leur efficacité, notamment pour s’adapter aux besoins des individus et pour rallonger la durée d’accompagnement.
Comment l’équipe d’animation fait vivre les espaces collaboratifs d’innovation et génère de la confiance entre les utilisateurs ?
Si le lieu est important, l’animation représente aussi un levier indispensable pour favoriser l’innovation collaborative. Il a tout d’abord été reconnu par les personnes interrogées qu’un espace collaboratif d’innovation est incarné par une équipe avant tout. Seule une équipe d’animation est à même de créer l’atmosphère propice à la collaboration. Les termes “humain”, “ouverture”, “être à l’écoute” reviennent fréquemment dans les discours des personnes interrogées, qui considèrent que la mise en œuvre d’un cadre de confiance est la principale source d’innovation collaborative.
Une large palette de rôles de facilitation, avec parfois des activités hors des murs
De façon générale, sur les 6 cas étudiés, on retrouve trois grands rôles de facilitation : fonctionnelle, opérationnelle et méthodologique.
- La facilitation fonctionnelle consiste à faire vivre et rayonner l’espace en interne et externe.
- Pour cela, la constitution d’une équipe pluridisciplinaire est la première étape dont se charge le facilitateur fonctionnel.
- Il est garant de l’atteinte des objectifs individuels des membres de l’équipe et peut aussi ajouter des objectifs collectifs comme la mise en place d’outils de management visuel.
- Le facilitateur fonctionnel joue le rôle de lobbying ou de négociateur pour obtenir des budgets auprès de la hiérarchie, des sponsors ou des partenaires-financeurs.
- La facilitation méthodologique consiste à proposer un accompagnement aux utilisateurs sur les outils collaboratifs en lien avec les méthodes agiles, comme le design thinking, les sprints, le lean startup…
- Une spécificité du facilitateur méthodologique est qu’il peut œuvrer au sein des murs ou en dehors. Par exemple l’équipe de la FDJ, équipée d’une mallette avec des outils de facilitation, propose des sessions de créativité dans les filiales du groupe.
- La facilitation opérationnelle n’apparaît que dans les espaces composés d’une zone de prototypage comme les FabLabs (Aerogarage et Y-Spot).
- Ce rôle est celui du Fab Manager en charge de la maintenance du parc de machines, les achats des consommables et la formation des utilisateurs sur les équipements ou encore une aide à la modélisation et au prototypage rapide…
L’essaimage des méthodes de créativité et de la posture de facilitateur pour acculturer les utilisateurs à l’approche collaborative
La nécessité d’augmenter le nombre de collaborateurs formés à l’intelligence collective devient essentielle. De façon générale, les équipes sont composées de deux à sept personnes, hormis au CEA Y-SPOT où l’équipe regroupe une trentaine de personnes. Les membres de l’équipe d’animation sont souvent trop peu nombreux pour répondre à l’ensemble des sollicitations.
“On est quatre ; le groupe Safran, c’est 84 000 salariés, donc on essaie de diffuser les compétences pour que les gens soient plus autonomes”. (Responsable Aerogarage Groupe Safran).
Le rôle de l’équipe d’animation est alors de favoriser l’adoption d’une nouvelle posture d’apprentissage par l’expérimentation en mode “test & learn”. La puissance des méthodes d’intelligence collective est de plus en plus reconnue comme un levier de performance pour les équipes.
On a vraiment une mission d’essaimage en interne, de l’intelligence collective dans le quotidien des collaborateurs, parce qu’on sait que l’intelligence collective, c’est une puissance. Donc, on essaye de faire en sorte que les collaborateurs aient des réflexes d’intelligence collective dans leur quotidien”. (Responsable Lab transfo de la Française des Jeux – AZAP)
La valeur ajoutée pour les membres de la Ruche industrielle est multiple. 1/ L’adoption d’une posture proactive de la part des salariés. 2/ La constitution d’un réseau de pairs avec un sentiment d’appartenance à une communauté d’experts. 3/ La montée en compétences des collaborateurs sur les méthodes agiles.
“Pendant le projet, il y a une montée en compétence des collaborateurs, (…). Ils sont quinze confrontés à d’autres techniciens de maintenance qui vont apprendre entre pairs et vont aussi se constituer un réseau”. (Directrice de la Ruche Industrielle)
Ce qu’il faut retenir : les espaces collaboratifs d’innovation s’accordent tous sur trois points
- Ces espaces constituent un espace intermédiaire, entre sphère professionnelle et personnelle. Ils facilitent les échanges et interactions entre acteurs et permet un accès particulier à des ressources soutenant la créativité ;
- L’identité de l’espace et de son atmosphère est primordiale pour soutenir la dynamique de collaboration ;
- L’animation de ces espaces, en particulier à travers la facilitation de projets et d’évènements, permet de stimuler les échanges de connaissances. L’équipe d’animation joue un rôle d’intermédiaire pour générer des proximités non physiques – sociales, cognitives ou institutionnelles – afin de créer une atmosphère créative et innovante.
Et vous alors, êtes-vous prêts à lancer votre propre espace collaboratif d’innovation ?